Some Original French Excerpts from "Guardian of Language: An Interview with Hélène Cixous" by Kathleen O'Grady (March 1996)

Full Interview in English (trans. Eric Prenowitz)


By arrangement with Kathleen O'Grady, Voice of the Shuttle is republishing this interview from Women's education des femmes 12 (No. 4; Winter 1996-7): 6-10. (Wedf permission policy)


Hélène Cixous

Jamais une théorie n'a inspiré mon texte poétique. C'est mon texte poétique qui, de temps à autre, s'assied sur un banc ou bien à une table de café -- c'est ce que je suis en train de faire d'ailleurs en ce moment -- pour se faire entendre en termes plus univoques, plus immédiatement audibles.

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D'abord, il est vrai que Clarice Lispector occupe une place absolument exceptionnelle dans l'espace de références chez moi, et qu'elle est unique pour moi. Je ne la compare à personne. A personne parmi les contemporains. Quelqu'un d'autre occupe également une position unique et exceptionnelle, c'est Jacques Derrida, et d'une certaine manière, je pourrais dire -- c'est une simplification -- que l'un et l'autre occupent pour moi une sorte de lieu d'écriture idéal, compte tenu de la différence sexuelle, lui évidemment occupant l'espace d'une certaine masculinité capable de féminité, et elle occupant l'espace d'une féminité capable de masculinité.

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Tout se passe comme si un certain public n'appelait "politique" que ce qui avait pour objet ou pour centre une référence à des événements historico-politiques proprement dits, événements qui pourraient prendre place justement dans les journaux et les livres d'histoire, mais le politique -- c'est une banalité, j'ai honte d'avoir à le dire -- ne relève pas simplement de la scène politique, des événements politiques rapportés par les médias ; ça commence évidemment par le discours du sujet sur lui-même, c'est-à-dire que tout ce qui fait la scène politique - il y a les relations de pouvoir, d'oppression, la mise en esclavage, l'exploitation - tout cela commence chez moi je dirais d'abord dans la famille et puis à l'intérieur de moi-même, les tyrans, les despotes, les dictateurs, le capitalisme, enfin tout ce qui dessine, pour nous, l'espace politique visible, n'est que la projection visible et théâtralisée, photographiable, des conflits du moi avec l'autre. Je ne peux même pas imaginer qu'on puisse penser autrement.

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Ce qu'il faut que je dise aussi, c'est qu'évidemment je suis, comme tous les écrivains qui invoquent Dieu le mot et le mot Dieu dans leurs textes, religieusement athée, mais littérairement déiste, voilà. A la limite, je pense que personne ne peut écrire sans l'aide de Dieu, mais qu'est-ce que c'est ? Dieu? sans l'aide de l'écriture, Dieu-l'écriture.

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Je suis, d'une certaine manière, née politique, et même c'est pour des raisons politiques que j'ai commencé à écrire, et que j'ai commencé à écrire de la poésie comme réponse au drame politique.

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Et j'ajouterais que, de manière strictement spécifique et réservée justement à l'écriture, je pense -- je l'ai toujours dit, et je le réaffirme -- que les écrivains conscients sont des gardiens -- pas seulement de la chose morale publique, ce qui n'est qu'un des aspects de leur travail, mais surtout -- c'est leur rôle, c'est leur mission -- ce sont les gardiens de la langue, c'est-à-dire de la richesse de la langue, de sa liberté, de son étrangeté, son étrangereté. La langue est un pays dans lequel se jouent, sur le mode linguistique et poétique, des scènes comparables à ce qui se passe, par exemple, en ce moment en France dans le domaine de l'ouverture ou de la fermeture des frontières. Il y a des façons d'écrire le français qui sont des façons d'écrire le "bon" français en lui mettant ses frontières et en défendant coûte que coûte le nationalisme et la nationalité française. Il y a des façons, au contraire, de dégrammaticaliser ou d'agrammaticaliser le français, de travailler en syntaxe pour qu'il soit une langue ouverte, réceptive, extensible, tolérante, intelligente, capable d'entendre les voix de l'autre dans son propre corps.

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Vivre, c'est -- on ne vit pas sans craindre la mort de l'autre, donc voilà, je suis vivante, donc je suis contractée de terreur à l'idée que l'un des miens pourrait être tué, souffrir. Mais je ne peux pas dire que c'est ce qu'on appelle une peur. Tout le reste, pour moi, est colère ; je suis en colère contre l'esprit de trahison qui domine les individus et la société.


Full Interview in English (trans. Eric Prenowitz)


Reprinted by arrangement with Kathleen O'Grady from Women's education des femmes (12, 4) Winter 1996-7: pp. 6-10.

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